Gérard Poujade. Maire du Séquestre. Vice-Président ESS et circuits courts Com. Agglomération Albi
Consommer local est une belle mode. Il en est de multiples variantes, mais pourquoi est-ce si difficile ?
C’est difficile car la tentation est grande pour d’acheter ailleurs. Quand nous optons pour des vêtements à moins de 10 € l’unité, nous balayons en un seul mouvement de multiples principes :
L’attrait du prix est tel que la part de population n’hésite pas à mettre un mouchoir sur ces considérations pour le « désir d’avoir ». Le "bas prix" est un enfer. En laminant les prix, on lamine surtout l’environnement, le social et la démocratie. Les grandes marques, les sociétés qui vivent de ce travail sous-payé à l’autre bout du monde ont un argument massue : « il faut rendre accessible le plus grand nombre de produits à ceux qui n’ont pas les moyens ici ». En gros, il y a cette promesse populiste qui consiste à dire aux pauvres que ce sont les classes moyennes aisées qui veulent profiter des bons produits. Ces classes moyennes sont souvent qualifiées d’écolos-bobos. On y rajoute parfois le terme gaucho. Le local serait donc une affaire de quelques minorités aisées et méprisantes.
Derrière un produit de grande consommation, il y a toujours une approche marketing. Celle-ci est mal connue du grand public. On pourrait la résumer en 5 questions :
Et surtout, le marketing est là pour répondre à une interrogation de la société, de la firme : comment créer le besoin ?
La problème est là. En réalité, il n’existe pas beaucoup de réels besoins. La très grande majorité des produits que nous achetons, dans nos sociétés occidentales, correspondent à des envies, et pas à des besoins.
L’exemple le plus flagrant est peut-être bien celui de l’eau. Nous avons besoin d’eau, c’est une évidence.
Mais avons-nous besoin d’eau en bouteille ? Ou pour être plus précis, à quel moment avons-nous besoin d’une eau conditionnée ? En France, la réponse est pratiquement jamais. Les réseaux d’eau potable sont de qualité, et la qualité de l’eau est pratiquement partout de bon niveau. Pour la portabilité, une gourde fait très bien l’affaire.
En revanche le marketing de l’eau est d’une puissance redoutable. Depuis bien des années, on sait qu’il est mensonger. L’eau en bouteille ne fait pas maigrir. L’eau en bouteille n’est pas bonne pour la santé. Mais cela ne fait rien, à grand renfort de publicités ou de réclames, on répète jusqu’à nous faire croire que ce serait vrai.
Or qu’est-ce que de moins local que l’eau en bouteille ? Surtout quand on compare à l’eau du robinet ! Cette eau du robinet a pourtant toutes les vertus :
On voit bien au travers de cet exemple que le prix n’est pas le seul argument. Quand on achète une bouteille d’eau dans son contenant plastique, que paie-t-on ?
Le marketing peut tout balayer. La communication peut distiller continuellement sa réclame (aujourd’hui, on appelle cela des fake news) et arrive à faire croire l’exact contraire de la réalité.
Il serait possible de lister une kyrielle de produits pour laquelle, une même démonstration serait possible.
En fait c’est la transformation de produits de base qui entraîne les achats éloignés. Il est un savoir-faire qui a disparu : le traitement des produits bruts… Même l’eau.
A partir du moment, où commence la transformation deux mouvements s’enclenchent :
La transformation demande de la main d’œuvre. Le produit brut transformé devient un produit final pour lequel le coût de la main d’œuvre devient souvent le premier poste constitutif du prix.
Le coût du transport, de la logistique est tellement faible que de plus en plus d’industriels, de marques organisent la production de masse, en recherchant la main d’œuvre la meilleur marché sur l’ensemble de la planète pour diminuer le coût de la fabrication.
Si on ne peut pas encore faire fabriquer son pain en Chine, il est des produits pour lesquels il n’y a pas d’alternative de masse. Tant qu’il n’y aura pas de contraintes douanières sur des produits comme le vêtement, il n’y aura plus de consommation locale de masse.
Mais dès qu’il est question de taxes aux frontières, de droits de douane, la bienpensance ultralibérale nous dit : entrave à la liberté.
Le problème est là.
De quelle liberté parle-t-on ? Et de manière très étrange, le consommateur défend sa liberté d’acheter sans défendre la liberté de penser. La Chine est une dictature dans laquelle les idées n’ont pas le droit de dépasser des contraintes très rigides. La Chine est un état asocial et totalitaire, mais tant que les chaussettes seront bon marché, nous devrions avoir la liberté de les leur acheter. La Chine n’est pas le seul exemple, la très grande majorité des pays à travers le monde fait de même.
Mais l’exemple chinois est intéressant pour l’imaginaire politique qui s’était créé à un moment de la rétrocession de Hong-Kong. « Un pays, deux systèmes » était le slogan que le monde libéral mettait en avant pour sous-entendre un imaginaire ou la liberté de Hong-Kong deviendrait contagieuse à l’ensemble du pays. Pékin de son côté usait de ce même slogan pour faire passer cette absorption en imaginant étendre le système central à l’ex ville état. Je crois que Pékin est en train de gagner.
Même si c’est un troisième système qui est en train d’émerger. La Chine est devenu un pays totalitaire ultralibéral. Cherchez l’erreur. Et aujourd’hui ce régime est en train de se répandre sur l’ensemble du globe. L’illibéralisme mondial provient en grande partie du désordre engendré par la recherche du moindre coût de la main d’œuvre, au mépris de la santé, de l’environnement, de la pauvreté du plus grand nombre d’humains de la planète. Il n’y a pas beaucoup d’achat local, car nous sommes – avant tout – indifférent à la pauvreté du monde.