Gérard Poujade. Maire du Séquestre. Vice-Président ESS et circuits courts Com. Agglomération Albi
Dès qu’un reportage met en avant le localisme d’une collectivité, on peut être sûr que l’on va nous montrer une cantine, un maraîcher, peut-être même une entreprise d’insertion pour nous montrer un meilleur des mondes. Certes ces exemples existent, ils sont – réellement – formidables et il faut que ceux-ci soient répétés à l’envi.
Dans le budget de ma commune, les achats cantine ne représentent pas 3% du budget de fonctionnement. Pire encore, selon les années et les investissements que nous pouvons être amenés à faire, cette somme ne représente pas 1% d’un budget global. Alors quid du reste du budget ?
Il faut bien le reconnaître, il est très peu local. Et ce n’est pas par manque de volonté politique (de ma part, ou de la part de mes collègues), mais il n’y a pas réellement le choix.
Examinons un budget de fonctionnement. Une collectivité achète des fournitures de bureau, en cela elle ressemble à l’ensemble des PME. Certes, nous achetons auprès de commerçants locaux. Mais la ramette de papier n’a pas été produite au bout de la rue, idem pour les cartouches d’encore, les stylos. L’ensemble de la ligne budgétaire en question est composé par des produits venant des quatre coins du monde.
Une collectivité achète des produits d’entretien, le raisonnement précédent se reproduit à l’identique. Elle achète également des fournitures indispensables à la maintenance des bâtiments, du chauffage, de l’arrosage etc. Là aussi, si notre revendeur est local, le producteur ne l’est jamais.
Nous achetons également des services. Nous avons des assurances, rien de bien local. Toutefois c’est dans ce secteur-là que nous trouvons le plus de possibilités. Que ce soit pour l’entretien, les espaces verts, la maintenance, nous faisons appel à des PME locales, tant qu’il s’agit de petits marchés.
Examinons maintenant le budget investissement. Le tissu économique, principalement le secteur du bâtiment et des travaux publics, est très demandeur d’investissements de la part des collectivités. Et là, pour le coup, c’est la loi qui nous interdit l'achat local.
C’est d’autant plus dommage que la construction d’une école, d’un trottoir est une compétence que bon nombre de PME locales sont en capacité de faire. Mais pour tous les marchés de plus de 40.000 euros, nous devons passer par les fourches caudines des appels d’offres publics.
Les petites entreprises n'y répondent pas ou très peu. C’est la première conséquence. Les dimensions administratives, juridiques rebutent des PME qui ne sont pas structurées pour cela.
Du coup, ce sont des entreprises plus grosses, souvent des acteurs nationaux, et de plus en plus souvent des entreprises à l’international qui répondent. Très clairement, cela renchérit les marchés. Nous ne disposons pas d’études très claires sur le sujet, mais pour avoir eu à comparer des prix dans le bâtiment entre achat public et achat privé, on retrouve facilement un surcoût pouvant aller de 25 à 50%. C’est le seconde conséquence.
Et la troisième conséquence est la soustraction au marché local de parts du chiffre d’affaires qui quittent le territoire. Comment cela se passe dans les faits ?
Je ne connais pas un élu qui est ravi d’avoir à appliquer les règles des marchés publics. Certes, il faut que les marchés publics soient encadrés pour ne pas retomber dans les marchés truqués d’il y a une trentaine d’années. Mais cet encadrement ne passe pas par les règles d’un « total libre-échange » qui est imposé aux collectivités.
Regardons maintenant qui est le plus sévère sur cette question. Aujourd’hui tous les contrats de plan état, région et collectivités qui accèdent aux aides de l’État et de l’Europe sont obligés aux règles des marchés publics.
Aujourd’hui ce sont les groupes de pression des grandes entreprises, principales bénéficiaires de ces marchés, qui conseillent, prérédigent les directives européennes. Une collectivité qui déciderait de s’affranchir de ces règles qui détruisent l’emploi, local serait immédiatement privée de toute aide, et serait tout aussi immédiatement condamnée par tous les tribunaux administratifs du pays.
Il faut être clair, il n’existe aucun « total libre-échange », c’est tout le contraire. Les marchés sont confisqués aux petites entreprises. D’ailleurs de plus en plus souvent, il ne se trouve qu’une ou deux entreprises pour répondre à certains lots de construction. Au contraire de ce que l’on veut nous rebattre les oreilles, nous ne sommes pas dans une situation de « saine concurrence non faussée », mais dans une économie de confiscation. Il y a une réelle responsabilité de l'Etat et de l'Europe sur ce point.
Certes il existe des interstices pour insérer du local. La première piste consiste à engendrer des travaux de moins de 40.000 €. C’est le seuil en deçà duquel, il est possible pour une collectivité, de proposer une procédure simplifiée de consultation. Mais il n’est pas difficile de comprendre qu’avec de si faibles montants, on ne construit pas grand-chose.
Ensuite, il y a l’organisation des marchés avec un allotissement le plus détaillé possible. Ceci permet de proposer des marchés plus petits et donc pouvoir intéresser des PME locales qui pourront répondre à la demande.
Enfin, il y a la possibilité d’introduire des clauses sociales dans les marchés publics. Celles-ci engendrent des revenus et des emplois locaux la plupart du temps. Néanmoins ces clauses ne sont pas simples à mettre en place, ne concernent que de faibles parts des marchés, et ne sont pas toujours respectées.
Christine Lagarde au Parlement européen aujourd’hui : « L’investissement public est ce qui a le plus d’effet à court terme sur la demande, restaure le plus vite la confiance, engendre l’effet démultiplicateur le plus élevé ».
Très clairement aujourd’hui, si un état voulait réellement renvoyer à une préférence nationale, voir une préférence locale, il devrait s’empresser de revenir sur les marchés publics.